En débat

Le rôle de Joseph-Marie Charles dit JACQUARD, Lyon (1752-1834)

Inventeur fécond, encouragé par Napoléon, par la Ville de Lyon, et décoré par Louis XVIII... Un bienfaiteur de l’humanité pour le soulagement apporté à la tâche des tisseurs et surtout à celle des enfants (sa statue est bien présente sur la place de la Croix-Rousse).

Pourtant, les critiques ne manquent pas. Alors qu’hier on le décriait pour le prix coûteux de sa mécanique et son manque d’efficacité immédiate, aujourd’hui le débat porte sur le nom de cette machine. On souhaiterait rendre justice aux inventeurs qui l’ont précédé (Falcon, Dangon, Vaucanson et Bouchon) ou qui l’ont améliorée (Breton).
Dans tous les cas, le personnage de Jacquard est une personnalité complexe, que le spécialiste Jean Huchard a décortiquée sous presque tous ses aspects dans les différents Bulletins Municipaux Officiels de la Ville de Lyon.

Le terme de "canut"

Employé à tort et à travers aujourd’hui, mais dans un sens plutôt flatteur (l’appartement “canut”, la République des canuts, ...) avait au contraire un sens péjoratif dans le passé et passait même pour injurieux, surtout aux yeux des tisseurs de soie eux-mêmes. Il faut donc le manier avec prudence. Ce terme apparaît vers 1805 et vient peut-être de ce que les cannes des maîtres ouvriers furent dépourvues de leurs attributs (les “cannes nues”), au moment de la suppression des corporations (fin 18ème, au moment de la Révolution).

La condition sociale des travailleurs de la Soie

Cette condition sociale était souvent mauvaise, surtout en ce qui concerne les compagnons et pour tous, durant les périodes de crises, les “meurtes“, fréquentes dans une industrie de luxe. Certes, le tarif est bien maigre, surtout pour le compagnon, qui n’en perçoit que la moitié et les petites gens, apprentis, femmes, professions annexes du tissage, qui n’en perçoivent que des miettes. Le revenu des tisseurs, en baisse de 1830 à 1848 (cette question du "tarif" est d'ailleurs à l'origine des révoltes) s’élève à partir de 1850, mais est par la suite réduit du fait de la hausse des prix et de la concurrence des industries.
Le Maître tisseur, quant à lui, est un petit entrepreneur ayant un niveau d'éducation supérieur, lui permettant de gérer son atelier: il achète son matériel et gère ses commandes. Il doit savoir lire et compter.

La croix-rousse : un laboratoire social ?

Il est certain qu’on y voit naître, surtout dans les années 1830, des institutions originales : la première mutuelle de travailleurs, la Société de Devoir Mutuel, les premiers journaux "ouvriers", l’Echo de la Fabrique, l’Echo des Travailleurs, le premier magasin coopératif, tandis que certains chefs d’ateliers participent au très officiel Conseil des Prudhommes de la ville.

Les historiens marxistes ont vu dans la révolte de 1831 un tournant de l’histoire ouvrière.
Il faut cependant être prudent : au soir d’une victoire inattendue, qui leur livre la ville de Lyon, en 1831, les chefs des canuts se déclarent partisans de “la loi et de l’ordre”, “le peuple à faim, mais ne pille pas”, car ces hommes ne font pas partie des bataillons des nouveaux prolétaires de la grande industrie naissante. Certes, ils savent s’unir et agir contre la misère et l’exploitation, “la dureté des temps et des marchands”, mais ils font aussi preuve d’un conservatisme certain, réagissant après coup aux aléas du marché.
Il n’y a là rien d’étonnant, puisque l’on en est ici au stade de la pré-industrialisation, avec la survivance de pratiques ou d’institutions anciennes, comme l’est par exemple la très agissante association des Compagnons Ferrandiniers du Devoir.